Formation et inscription – Discussions Calba – Triby

Commentaires Calba

> Bonsoir,
> L’inscription peut être vue comme une prise sur le milieu. Une histoire singulière vient le bousculer et le reconfigure en y apportant sa manière d’agir pour en surmonter les contraintes et les aspérités .Peut-on s’interroger sur cette trace, ce mouvement d’inscription de soi-même dans le milieu (cette “potentialité d’émancipation” comme l’appelle Schwartz) et se demander alors, à l’inverse du premier questionnement, quel type d’inscription favorise la formation?

Réponse : 28/1/19, 7h50
Merci pour cette remarque qui est déjà une question (et devrait être sur le blog)
Le pb de toute question que l’on voudrait tranchée est qu’elles sont réductrices.
L’inscription n’est pas un état, c’est un processus ; à ce titre, il va pour moi de soi que les liens entre formation et inscription sont interactifs et réciproques.
C’est pourquoi je trouve que la thématique proposée malgré son côté un peu simpliste devait être introduite dans notre réflexion. Le lien entre émancipation et inscription est également hautement problématique ; je trouve que, sous l’influence de l’ergologie, vous avez peut-être tendance à perdre toute l’ambivalence du phénomène.
A suivre

Nouvelle question, C. Calba 28/1/19 17h
Vous parlez du côté simpliste de quelle thématique, la question du type d’inscription/ formation?
C’est vrai que sous l’influence de l’ergologie, je vois l’émancipation comme un potentiel constitutif de tout être humain en activité. On s’émancipe plus ou moins bien (mais on ne peut pas ne pas le faire) des concepts qui ambitionnent de neutraliser les effets de singularité puisque , entre autre, on doit surmonter sans cesse l’épreuve de l’ imprévu.
Selon Barbot et Tremion (2016) ” Le paradigme de l’autonomie implique donc une démarche de cheminement qui s’oppose à des postures de fermeture de programme figé puisque la vie implique de choisir, d’interagir et pour cela d’être à l’écoute ” (Varela, 1989).Si cette émancipation est réussie, elle ouvre peut-être la voie à un apprentissage “émancipateur” , une formation à l’autonomie dans “une logique d’empowerment”, qui donne du pouvoir à l’apprenant.
En effet, il y a une relation dialectique entre la formation et l’inscription.
La formation concerne la construction d’un sujet, son développement. Par son activité, il va à la fois agir sur sa formation et se transformera par la même occasion puisqu’elle aussi sera agissante. Pour Fristalon (2017) “{la} formation est un lieu de travail de la norme et des normes antécédentes et singulières, lorsqu’elle cherche à conformer les personnes en formation, ou lorsqu’elle cherche à organiser le débat de normes dans ses dispositifs (…)”. C’est cet usinage des normes “au coeur” de la formation qui pose peut-être la question de l’inscription comme processus de retravail de ces normes (cette forme d’inscription qu’est la trace au sens d’empreinte et de « manière d’agir ») et donc d’une émancipation créative et recréative du milieu, de soi. Si ” La formation est le lieu d’aménagement de cette rencontre ” (Fristalon, 2017) entre les savoirs et les valeurs qui sont les sources des normes, quel type d’inscription en tant que manière de faire usage de soi-même rend féconde cette rencontre et fait de la formation un lieu de développement de soi, de formation.

Marie-José Barbot et Virginie Trémion, « De l’émancipation à l’autonomie : stabilisation et ouverture de possibles », Recherches & éducations, 16 | 2016, 21-34.

La formation professionnelle comme démarche ergologique

https://allsh.univ-amu.fr/sites/allsh.univ-amu.fr/files/007-le_travail_comme_expe9rience_et_les_crite8res_du_taylorisme.pdf

Réponse, E. Triby
Ne pas oublier que lorsque l’on parle de formation, cela recouvre deux réalités bien distinctes bien que trop souvent confondues : l’activité d’un formateur et le développement d’une personne.
Il y a quelques raccourcis – bien compréhensibles – dans votre propos.
Je ne suis pas sûr que la formation soit nécessairement l’occasion d’un « usinage des normes » (jolie formule !) ; les formations scolaires pêchent justement par une centration excessive sur les savoirs, excluant tout véritable débat de valeurs hors des moments programmés pour cela (une façon d’étouffer tout réel débat de valeurs), et reconnaissons que toute une tradition de l’Ecole républicaine voudrait faire passer les savoirs comme des passeurs de normes, du fait qu’ils constituent les savoirs autorisés de/par l’Institution et qu’ils sont « éclairés par la Raison », ce qui permet de ne pas s’encombrer avec des valeurs. C’est toute l’ambiguïté de la discipline (de recherche/scolaire) ou plus précisément du « paradigme disciplinaire » .
Je dois admettre que j’ai quelque souci avec la notion d’émancipation, comme je rechigne à travailler avec la notion d’identité, sauf « l’identité narrative » dans la mesure où elle rappelle que l’individu est inscrit dans une triple temporalité, c’est son humanité même. Je ne suis vraiment pas sûr que l’émancipation ait quelque chose à voir avec l’inscription. L’individuation tend à disqualifier l’idée même d’émancipation qui est nécessairement collective, comme l’identité qui finit par n’être plus que « narrative » rapprochant un peu de l’inscription trace, trace écrite, scénarisation pour laisser une trace, pour instaurer une cohérence – toujours très improbable – entre les éléments constitutifs de mon individualité. D’autant que l’écrit paraît pouvoir figer une entité individuelle qui se transforme au fil des récits que l’on réécrit en permanence.
Que peut alors la formation ? Si on l’entend comme activité d’une personne tendue vers son développement, la formation ne peut quelque chose que si elle travaille l’écart entre la responsabilisation et la « domination » (au sens bourdieusien) (manière de regarder la discipline sous un œil critique), si elle permet d’interroger la tension entre l’ancrage et le positionnement (manière de constater l’incontournable interdisciplinarité ), si elle mobilise l’écrit moins pour se raconter que pour s’interroger, mettre au jour les alternatives et les choix réalisés. En somme, si elle permet une problématisation de soi.
Si je conviens aisément que savoirs et valeurs sont à l’origine des normes, j’ajouterais volontiers les pratiques sociales, à moins que vous ne les classiez dans les savoirs. Les pratiques comme ces habitudes de vie, inscrites dans les corps sans qu’il soit possible ni de les effacer totalement, ni d’en saisir le processus de formation ; quelque chose comme le sens pratique tel qu’il est « portable » par les corps.
1. http://skhole.fr/remarques-sur-la-critique-actuelle-du-paradigme-disciplinaire-par-alain-firode
2. Dubar, Cl. (2003). Les défis de l’interdisciplinarité, Travail et emploi, 94.